GOD a écrit:

« Vous êtes à une fête de charité organisée pour l’église ou à une réunion d’anciens élèves. La célébration bats son plein et évoque pour vous des souvenirs passés avec des gens et dans la région lorsque parvient à vos oreilles une rumeur. »

« Toujours entrain de distribuer les lettres, Ingvar ? » Et je sens sa main amicale sur mon épaule et le sourire qui l'accompagne. Je tourne la tête, interloqué, verre de champagne en main et cravate délicieusement nouée autour de mon cou. « Toujours. Il faut bien quelqu'un pour le faire, n'est-ce pas ? » Il me tend la main une fois face à moi, et nous échangeons une poignée de bienséance soutenue. Écrasante de ma part. Mon sourire est au rendez-vous, masque de convivialité porté. Comment recevrais-tu tes réclamations de paiements pour tes factures impayées, sans moi ? Mon regard équivoque à un magnifique mensonge. Je connais ta vie et je sais que tu ne vaux pas la peine que j'entame une conversation avec toi, qui est encore plus pitoyable que moi. Je mets fin à notre lien physique et lui tourne le dos, prétextant qu'on m'attend ailleurs. La salle de fête n'est pas si grande mais elle est tout de même remplie de brouhaha, de personnes qui souhaitent une fois encore étaler leurs vies aux autres, comparer les choses matérielles qu'elles possèdent. Ce sont tous des anciens élèves de mon lycée, ici, à Caswell. Vieille promotion puisque la plupart d'entre nous risque d'atteindre la quarantaine sous peu. Quand j'ai reçu la lettre d'invitation, j'ai hésité. Mais ce genre de soirée est toujours le théâtre de nouvelles rencontres riches en rebondissements. Et pour mes affaires, ce n'est pas si mal. J'avance, verre à la main, cherchant à m’immiscer dans une conversation quand une douceur m'agrippe l'avant-bras.

« Ulrik, c'est bien toi ? » Entendre mon deuxième prénom m'immobilise sur place. Il y a une époque, durant mon adolescence, ma popularité était très haute. Malgré les médisances sur ma famille, j'étais intelligent et sans modestie, beau garçon. Toutes les filles rêvaient d'un jeune scandinave aux cheveux d'or et aux yeux céruléens. Elle y compris. Kim était l'une de mes relations les plus sérieuses au lycée. Béguin de jeune. Et il n'y avait que ma famille et mes amis proches qui me surnommaient Ulrik. C'est pour cela que je m'attendais à voir son visage lorsqu'elle prononça ce nom avec sa voix unique. Mon masque se casse quelques secondes et les souvenirs reviennent. Le bon temps. Je recouvre ses frêles doigts de ma main dominante, en la saluant, d'un sourire vrai et chaleureux. Oh, j'agis ainsi avec beaucoup de femmes. Elles fondent toutes. Devant ma barbe que j'entretiens quand je ne décide pas de la supprimer pour changer de peau. Devant mon sourire. Devant mes yeux pétillants et séducteurs. Mais Kim me connait. « Oh arrête pas de ça avec moi, Don Juan. Je sais que t'es marié, maintenant ! » Elle me sourit et se positionne devant moi alors que nous sommes en plein milieu de la salle, quelques regards tournés vers nous. Nous formons un beau couple. Mais nous avons tous deux la bague au doigt, appartenance à un autre être. Nous parlons. L'entendre rire me remémore l'instant où mon père me disait qu'il aimait bien sa voix. Qu'elle était une fille bien. Mes parents voulaient comme tous les autres que je trouve une fille bien. Kim était une possibilité mais nous nous sommes séparés à la fin du lycée. A cause de Liara.

« Et Liara... elle va bien ?
- Je ne pensais pas que tu demanderai de ses nouvelles après...enfin, tu sais.
- Oui, c'est sûr. Dans le genre j'te vole ton mec, elle était douée... mais je suis bonne perdante. Et mariée, nah ! me dit-elle, en affichant sa bague. Je vois que tu l'es toujours. Elle prend ma main, un sourire aux lèvres et touche la bague à mon annulaire, la faisant glisser sur ma peau.
- Oui, toujours. » J'éloigne sa main du bijou. Mon sourire disparait l'espace d'une seconde. D'un instant. Et mon masque se brise.

Et si Kim savait ? Ma femme n'est plus à mes côtés depuis trois ans. Personne ne la voit. Je n'en parle pas. Alors les rumeurs sont arrivées. Pour certains, elle m'a quitté, pour d'autres, elle est malade et ne sort jamais de notre appartement. S'ils savaient qu'en réalité, elle n'est plus de ce monde. C'est une vérité que j'affronte tous les jours mais que je n'accepte pas. Et porter cette bague continue de la faire vivre pour moi. Même quand je suis avec une autre femme. Même quand je flirte ouvertement avec une ancienne amante de mon passé. Elle me hante. Je passe ma main dans le cou de la jeune femme en face de moi, glissant mes doigts sur son épiderme légèrement tacheté de grains de beauté. Tête légèrement penchée, j'admire son teint et ses rougeurs qui apparaissent sur ses joues. Son époux n'est pas venu à la soirée, je le sais, j'ai observé. Ma main parcoure son cou, jusqu'à son oreille puis je mets fin à ma caresse affectueuse brusquement, ce qui lui arrache une bouche entrouverte. Je penche mon visage vers le sien, joue contre joue, murmure à son ouïe.

« Ton mari est bien insouciant à te laisser seule, avec moi, tu ne trouves pas ? » Et je lui ouvre la main, posant doucement à l'intérieur la boucle d'oreille qu'elle portait quelques secondes auparavant. Elle se met à rire. C'était notre petit tour à tous les deux. Et elle ne doit probablement pas savoir que je mets à profit ce talent de vol à la tire en grand, à présent.

Je m'éloigne d'elle, finissant la dernière gorgée de champagne et reposant le verre en cristal sur une table où les cadavres festifs s'accumulent. Je regarde la foule. Les ballons. J'écoute la musique. Et mon regard dérape sur ma bague. Une toute petite chose qui renferme les milliers de souvenirs de ma femme. Machinalement, je fais rouler le bijoux sur mon doigt, le faisant tourner. Les minutes passent. Les femmes défilent sous mes yeux. Les faux semblants. Les anciens amis dont je ne me souviens même plus. Un groupe se forme autour de moi. Il semblerait que j'attire les conversations et les citoyens contre mon gré. Je participe, je souris.

« Et vous avez entendu les rumeurs sur le voleur ?
- Ah oui, celui qui revendique ces vols.
- il parait qu'il prend des photos parfois, des bijoux qu'il vole, en les donnant à des clodos dans la rue et qu'il envoie le tout à police.
- Y a vraiment des gens bizarres. dis-je en levant mon verre fraîchement servi au milieu de notre petit groupe de commères. J'ai hâte qu'ils le foutent derrière les barreaux. » Sourire.

Comment pourraient-ils penser une seule seconde que l'homme avec qui ils trinquent pour une meilleure justice est le voleur en question ? Ça me fait rire de les tromper comme ça. Kim est à mes côtés et la seconde après ma prise de parole, elle me tire sur le côté.

« Ulrik... tu es divorcé ? me demande-t-elle, le regard curieux.
- Qu'est-ce qui te fait dire ça ? Je lui souris, buvant une gorgée de... je ne sais même plus ce que c'est.
- Je ne sais pas... intuition féminine ? Tu peux tout me dire tu sais. On a grandi ensemble, dans cette ville affreuse. Et si tu l'es... Elle passe délicatement sa main sous la veste de mon costard noir, agrippant ma chemise avec ses ongles vernis. Malheureusement pour elle, je n'ai pas le temps de lui accorder l'attention que son mari ne lui accorde plus. J'ai une soirée chargée. Et ma présence à cette fête d'anciens élèves n'est qu'un alibi comme tant d'autres. Je lui dépose un baiser sur la joue, à limite de ses lèvres.
- Je ne suis pas divorcé mais... » Je lui ouvre sa main à nouveau dans laquelle je glisse sa propre carte de visite, dérobée à notre première conversation, quelques minutes avant. Bouche-bée elle me regarde m'en aller. J'ai pris soin d'inscrire mon numéro de téléphone au dos, au stylo noir. Je ne suis pas divorcé. Veuf, pour vous. Ma femme est toujours vivante pour moi. Nous avons passé tellement de temps ensemble. Six ans. Six ans de vie commune. Je la revois encore me sourire, diplôme en poche, lorsque je lui ai dis que j'allais suivre les pas de mon père et m'occuper du courrier des autres. Ce n'est pas forcément ce qu'on attend de son petit-ami à cet âge là. Mais elle m'a toujours soutenue. On a eu des hauts et des bas. Si bien que nous nous sommes séparés pendant deux ans.

Je jette ce qu'il reste de champagne discrètement dans le pot à fleurs qui meurt à la sortie de la salle de fête et je dénoue ma cravate. J'allume une cigarette, une fois dehors et contemple la nuit étoilée, mains dans les poches. Liara. Tu te souviens lorsque nous admirions ensemble le ciel ? On se disait que notre relation était compliquée. Séparation. Vie de couple. Séparation. Mariage. Bonheur. Mais tu n'as jamais cru en nous. Tu savais que nous ne serions jamais ensemble, à la fin. Et tu avais raison. Je suis seul. Seul sous un rideau noir.