Je suis médecin légiste. Enfin l’assistant du médecin légiste si vous préférez. Pour moi, ça revient un peu au même. Je dissèque les morts pour savoir de quoi ils sont morts. Je remplie la paperasse, je nettoie, je met de l’ordre, j’astique et je découpe, fouillant dans les entrailles comme certain fouille dans les poubelles. C’est fun, de connaitre les gens de l’intérieur. De savoir si le client était fumeur ou non, si il faisait beaucoup de sport ou si le gras qui recouvrait ses cuisses étaient effectivement du à des os forts.
J’aime mon travail. Les morts ne sont pas chiants. Pas bavards. Pas curieux. Avec eux, tout est simple. Je peux leur parler autant que je veux, sans avoir l’impression de me forcer pour faire durer la conversation. Il n’y a pas besoin d’apprendre en leur compagnie. Je n’ai pas besoin de me forcer, d’imiter, ou de tenter de décrypter ce qui se passe dans leur tête à l’aide de leur expression. Je peux faire autant de monologue que je veux, parler de ce que je veux, sans voir la conséquence de leur jugement étiré leurs traits. Ils acceptent tout, en silence et surtout serein. Ils n’ont plus le loisir de se préoccuper de leur vie, alors je peux me permettre de leur parler de la mienne. Ils savent tout. Les corps qui transitent ici arrivent à me retirer plus de vérité que mon psy en une dizaine d’année. Je n’ai pas besoin de lui. J’ai besoin d’eux. IL n’y a pas de meilleures thérapies que de contempler le but de la vie. On est tous des cadavres en sursis. Ce qui veut dire que je peux tous vous avoir à un moment ou un autre sur la table froide, et si je ne vous aimais pas lorsque votre cœur palpitait, la mort vous offrira mon amour. Je ne suis pas sur que ça vaille le coup, mais j’ai encore jamais entendu un patient se plaindre, même lorsque la lame du scalpel entaille peu à peu la chair fine.
Vous perdez du temps à vivre, le meilleur moment de toute votre existence, c’est bien la mort. N’en déplaise à ceux qu’elle effraie.

Croque mort, ça aurait été amusant comme métier. Je m’y serai bien vu. Le hic, c’est qu’il faut aussi gérer les vivants. Ceux qui restent. Ceux qui pleurent et se lamentent sur les disparus. Et le social, ça n’a jamais été mon truc. J’ai eut le choix, alors j’ai choisi. Je ne fais pas médecin légiste par dépit. Je n’ai jamais rêvé d’une brillante carrière en tant que docteur, ni même de sauver des vies. J’aurai pu, mais définitivement non. Une fois encore, la raison reste les vivants.
Les vivants… Mon fléau. Je les haïs autant que je les aime. Je les envies autant que je les méprises. Je les observe autant que je les dénigre. Je les imite, je les copie tentant de cacher ce qui fait ma différence. Pas par honte... Plus pour le plaisir du... Camouflage, la sensation de se savoir à part tout en le cachant aux yeux de tous. Je peux faire comme vous, me lever, aller travailler, rentrer, et se plaindre de sa journée, de sa vie... Mais je peux aussi me contenter d'observer, d'être ailleurs, tellement loin de votre putain de réalité, observant la face de monde dans les flammes d’un brasier tout juste allumé. Mon psy vous sortira une histoire totalement conne, à propos de l'autisme, et du sentiment d’abandon qui découle de la fuite de ma mère dans la coke, trop lâche pour assumer le gosse qu'un aristo du coin lui a fait au détour d'une soirée bien arrosée... Moi, je vous dit juste que toute sa théorie, c'est de la merde. Je ne peux pas regretter une personne que je vois une fois par mois, quand elle vient me taxer de la tune pour se payer sa came. Je ne peux pas aimer une personne qui ne m'a jamais rien apporter si ce n'est des emmerdes.
Ma mère, dans le sens où vous l'entendez, c'est ma grand mère... La seule personne qui m'ait donné envie de me mêler à votre monde. J'étais bien dans mon silence, bien dans mon réel, bien dans ma routine, mais j'ai tout envoyé volé, et si chaque jour je me bute à me fondre parmi vous, c'est en partie parce qu'elle le voulait.

Enfin je m'égare là, non ? Je vous chier ? Bah tant pis. A vrai dire, généralement quand je parle, c'est plutôt pour moi voyez-vous... Alors je parle de ce qui m’intéresse et qu'importe votre avis. Je pourrai donc vous parlez de ma collection de DVD, des derniers films que j'ai vu, de la couleur de mon boxer... Bref, de ce qui se passe dans ma petite tête, sans me soucier de vos longs soupirs d'ennui.
Je pourrai... Mais je suis pressé là... J'ai rendez-vous et j'ai horreur d'être en retard, même lorsqu'il s'agit d'aller voir mon psy.


Voyons, on se connait déjà !   Et vu que je vous aimes, je vous offre mon petit Aël, vous verrez, il est tout à fait charmant   Amusez vous biiiiien