TEST RP " Quelque chose vous a mené à Caswell. Le hasard, un but, qu'importe la raison et qu'elle fut peut-être positive au départ, aujourd'hui vous voilà coincé en ville. Et aujourd'hui particulièrement, c'est comme si les rues elles-mêmes semblaient s'acharner à vous éloigner de ce but et à vous rejeter malgré tous vos efforts "




Corrosive sensation de manque. Lèvres pincées, mes doigts qui tapotent nerveusement le zinc d’un bar miteux. L’ambiance schlingue, la touffeur générée par tout le smog, des fumées qui s’élèvent formant un nuage grisâtre. Passive, mes yeux suivent l’étrange ballet. Autour, ces inconnus qui me mirent de manière peu amène. Ils s’accrochent à mon regard, puisant le dégoût qu’ils m’inspirent. Traits placides, corps statique. Pensées vagabondes. Je suis ailleurs, quelque part où je n’ai pas à subir la présence préoccupante de ces « autres » insupportables. J’esquisse un semblant de sourire, rictus désuet qui n’en n’est pas un. Sourire. Putain que c’est moche. Le gestionnaire de l’établissement qui revient, sourcils froncés, gueule tirée, ça sent la peur, la réticence, ça sent l’ignominie. Ça sent le vieux con, tout.simplement. L’immonde intolérance à m’en filer la gerbe. L’œsophage brûlant, je fais volteface. Ignore son « non ». Je n’aime pas que l’on me dise « non ». Echec critique. Rageuse je pousse la porte d’entrée. Irritée, le vent vient mordre mes joues, balayer ma chevelure d’une gifle incongrue. Ma vision se brouille, maudite ville, maudit rhume. Les yeux qui se lèvent aux cieux, l’aide ne viendra pas de là. L’aide ne viendra pas. A Caswell, le premier soir, un stupide ironisait : « …les portes se ferment, ‘vaut mieux pour toi que t’y sois née ». Bénéfice du doute accordé, j’ai fait ce que je fais de mieux : garder espoir. L’espoir ici fait office de colombe de paix trop vite fusillée par des ignares.


Les mains avides fouillant les poches d’une vieille veste en jean chourée dans l’armoire d’un père flic. D’un père trop strict. Trop grand. Trop chiant. Trop. Un père « trop ». Un père qui mine de rien a toujours été au top et l’est encore. Je souffle. Je serre les poings, jointures jaunies, je dompte mon manque. Ma main gauche plonge dans la poche d’un jogging, le reste amer d’une relation aujourd’hui pulvérisée. Le souvenir concret de l’inconcret, de l’indiscutable cruauté humaine. La preuve que « un kiffe reste un kiffe », éphémère, explosif. Tadam. Cancer en bâtonnets précieusement logé au creux de ma paume. Superbe. Attractif. Je lui vouerai presque un culte. Sèche allumée, abusée, dévorée. Agonisante dans son incandescence. J’exulte son âme par intervalles. Elle m’apaise. J’avale les mètres, je marche, longe cette rue interminable. Çà et là des visages, des points noirs, sombres, de simples silhouettes. Champ de vision restreint. Tympans hermétiques. Bousculade. Excuses balancées, excuses refusées, insulte en prime. Bonus d’un genre nouveau. Royale, l’œillade appuyée. J’ai le pied qui m’démange. Les emmerdes me mordent la p’tite culotte. L’aisance à attirer des ennuis, croyez-moi, ‘pas donnée à tout le monde. Inspiration. Expiration. Ignore, Lincoln. Ignore.

▬ R’tourne chez toi, racoleuse »

Lincoln s’éveille, Lincoln prend ma défense. Le coup part tout seul, autonomie. Automate désabusé. Le putride enfoiré qui crache ses poumons. Pivot inutile. Je le regarde avec antipathie. Je ne le déteste pas. Ne le hais pas. N’éprouve rien.

▬ Salope ! »

▬ On m’insulte, je frappe. Je n'ai rien contre toi, profites-en, ta gueule.

L’étrangère. La profane. La sauvageonne. Les puritaines affichent de gros yeux, les lèvres pliées par des rictus outrés. Mes mâchoires se crispent. Regard lancé vers l’intérieur du café devant lequel je viens de piler. L’assistance me dévisage. Je décèle une sensation malsaine. Je gêne. De gêne. Et bordel, comme ça me plait.

▬ Quoi ?

Yeux rouges de colère. Veines évulsives. J’ai le cœur qui bat la chamade. Le souffle qui se perd, le néant, il me méprise. L’enflure réajuste sa stature, taureau furieux, ses cornes je vais les avoir dans le bide. Il voit rouge. Je ne vois rien. C’est Olivia qui prend la parole.

▬ Laisse tomber, vieux, y’aura pas de second round, je n’cogne pas sur les filles.

Pourtant c’est Lincoln qui parle. Attitude sereine, je lui tourne le dos. Trop plein de fiel, trop plein de zèle. J’ai l’assurance comme arme d’appoint. Lui, il ne lui reste rien.

Je m'éloigne en criminelle. Mes pas triturent l'asphalte dans l'incompréhension la plus totale. Je fais de mon mieux même si « mon mieux » n'est que le médiocre des autres. Mes efforts dans cette satanée ville, jamais récompensés. Les raisons de tout envoyer valser s'empilent, je reste. Je persiste. Je suis cet ectoparasite prêt à leur sucer le sang. Silencieuse et pernicieuse promesse, avec moi, ils l'auront dans l'os jusqu'à la moelle. Lincoln s'exprime, Olivia sourit. Fatiguée, je m'arrête face à ce qui ressemble à une mairie. Fatiguée, las , je l'observe c'est pas l'audace qui manque mais, c'est à n'y rien comprendre, dedans ça freine. Je perçois surprise que même la pierre des édifices me traite comme un paria. Alors inconsciemment, instinctivement mon corps réagit. Mes talons se tournent, demi-tour, j'ai le cœur qui se serre. Olivia veut retrouver son frère seulement c'est Lincoln qui dirige. Lincoln et Olivia s'accordent bien pour dire qu'il y a un truc qui cloche. 14H00 pétante, l'angoisse fulmine. Sensation dégueulasse d'être rudoyée non pas par les habitants mais par toute cette foutue ville. Lincoln s’éclipse, Olivia prend les devants. Olivia a une trouille qui lui bousille les tripes. Lincoln et Olivia c'est moi. Moi comme j'aurai voulu l'être, moi comme mon père aurait aimé. Quelque part, durant l'enfance quelque chose s'est déglinguée. Dix psy' pour conclure que je ne suis pas dingue. Je ne suis pas dingue, vous savez ?

▬ C'est pas la bonne adresse. C'est pas la bonne adresse.


Crise existentielle. Où va le monde ? Comment tourne-t-il ? Suis-je dans un autre espace-temps ? Ma névrose qui pullule. Ma main fébrile replace une mèche de ch'veux rebelle tandis que mon dos entre en contact avec le mûr. Froid. Tout est froid, ici. Tout est étrange. Bizarre. Tout. Absolument tout. Olivia est une tapette. Olivia chouine. Olivia se cache derrière Lincoln. La rue s'allonge, les maisons changent de numéro. Tout se ressemble. Putain, c'est quoi cette ville ?